Avant tout chose, Amélia travaille ses fonds. Comme un écrivain choisit ses mots pour planter le décor, elle choisit ses pinceaux, couteaux et superpose couche, après couche, la couleur, la matière de façon à obtenir le rendu souhaité. Le temps de séchage écoulé et sa palette colorée de quelques noisettes d'huile ou d'acrylique, elle se lance avec application vers son but secret, son projet bien en tête. Elle ne s'autorise pas de déviance possible qui l'amènerait vers un autre résultat. Elle se discipline. Surtout, ne pas s'éparpiller...
Tout comme Picasso et ses périodes bleues ou roses, Amélia travaille par thème, sur plusieurs toiles, encore et encore afin d'approcher la technique escomptée. Perfectionniste, elle y reviendra par d'autres biais, d'autres chemins ayant toujours un sentiment d'insatisfaction...
Ses couleurs de prédilection sont le vert anis, le jaune, le rouge et l'orangé.
Au gré de ses envies, de ses voyages, elle nous fait partager ses humeurs et ses souvenirs.
Le vent souffle sur les toiles d'Amélia, souvent d'Ouest en Est. Il soulève les jupes des filles au buste menu pour nous laisser entrevoir des formes girondes, des fesses rebondies. Les visages gardent la rondeur et la candeur de l'enfance, les mèches rebelles dansent au gré de la bise. Seul, l'accroche-cœur reste sagement dessiné sur le front.
Amélia nous présente son monde intérieur, tout en rondeur, légèreté et générosité pour qui aiguise son regard et passe outre son verbe plutôt direct.
Les paysages suivent le mouvement. Pas de traits abrupts, d'angles coupants. Les façades ondulent et dansent sous son pinceau.
La série sur la danse, la gymnastique rythmique, la musique, la jonglerie pourrait servir de décor aux équilibristes du Cirque du soleil et sert de prétexte pour traduire le corps en mouvement. On découvre la féminité selon Amélia : fesses rebondies, cuisses galbées, mollets musclés, courbes généreuses. Les femmes dansent sur la pointe des pieds, légères et graciles. Les violonistes pincent leurs cordes et bercent nos oreilles de la sonate de notre choix. Premier travail également sur la transparence que l'on retrouve ensuite dans la série des vitraux, au travers des escapades à Singapour, Prague, Bratislava...
Encore une fois, la bise souffle au détour d'une ruelle et on entend le bruit des bambous qui s'entrechoquent. On sent le duveteux des pompons de velours rouge, accrochés aux portes et fenêtres.
Bulles de couleur, arabesques, volutes au service de la transparence...
Sa dernière période nous entraîne vers la Russie. Pour la première fois, depuis longtemps, les couleurs sont différentes et tendent vers des bleus plus profonds, des prunes, des tons a priori plus froids. Pour autant, la lumière, à mon sens, n'a jamais été si présente dans ses toiles.
La nuit tombe sur la ville slave. Les villages sont accrochés à des collines et les fenêtres s'allument une à une. Les clochers des églises orthodoxes ont bien leur point sur leur i. Le vent souffle à nouveau sur les Matriochkas. Les clochettes tintinnabulent et les poupées basculent comme un jeu de quilles, comme pour souligner l'équilibre toujours précaire de la vie...
Ne dit-on pas que l'art reflète l'âme intérieure de celui qui crée ?
Amélia se serait-elle débarrassée de poids trop lourds portés depuis l'enfance ? S'autorise-t-elle à communiquer autour de sa peinture ? L'apaisement et la sérénité l'entraîneraient-elle à se libérer des verrous trop bien cadenassés ?
Il est toujours difficile de se sentir légitime dans sa propre création.
Depuis 10 ans, elle peint en silence et le secret de son entourage. Elle s'affiche très ponctuellement dans quelques expositions, du bout de son pinceau, sans faire trop de bruit. Elle met tant d'amour, d'ardeur, d'envie et de concentration dans son travail, qu'elle vous ouvre aujourd'hui la fenêtre sur sa peinture.
Sa lumière intérieure a allumé ses toiles. Le rouge incendie ses fonds, le jaune brûle enfin du soleil qui le réchauffe...
Exposer ses toiles, c'est s'exposer soi-même...
Florence MARTY - 2014